La Casa Morandi, Poétique des choses ordinaires

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Entrer dans l’espace de vie et de travail d’un artiste est toujours un moyen de comprendre son oeuvre de manière intuitive, par l’observation des détails qui constituent la singularité de son environnement.

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Souvent l’atelier de Giorgio Morandi, via Fondazza à Bologne, a fait l’objet de reportages photographiques tendant à percer le mystère de cet environnement de choses ordinaires; ainsi les plus illustres, Luigi Ghirri¹ puis Joel Meyerowitz² et François Halard³ se sont succédés dans cet espace évoquant le travail autant que le recueillement.

Giorgio Morandi a composé, sa vie durant, des natures mortes dont les modèles étaient des objets peuplant son atelier. Ceux-ci étaient nombreux et ils avaient des qualités formelles rendant pertinente leur utilisation renouvelée à travers des variations infimes.

La transformation des objets en fonction des tableaux est rendue évidente lorsque l’on observe attentivement les objets de l’atelier et leur correspondance avec les peintures qui en sont issues. 

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Giorgio Morandi n’achète pas d’objets; il les trouve, il les conserve et il leur ajoute des couleurs, les recompose. L’une des bouteilles emblématiques de ses peintures est un assemblage d’un entonnoir et d’un cylindre de métal.

Les natures mortes de Morandi représentent de nombreuses bouteilles de verre : contrairement à la grande tradition de la peinture hollandaise dont la maestria était évaluée à l’aune de la représentation de la translucidité d’un verre soufflé et des reflets de la lumière dans cette matière, Giorgio Morandi détourne complètement son regard de cette propriété habituellement recherchée, la translucidité du verre. Il badigeonne de peinture les bouteilles, tantôt sur leur surface extérieure, tantôt de l’intérieur. Et les tableaux se succèdent avec une constance des formes et une variation de teintes. Il ne sera pas étonnant de trouver sur un tableau telle bouteille de forme si identifiable peinte en blanc puis sur un tableau suivant, peinte en bleu : ce n’est pas la liberté qu’il s’accorde, face au réel, de changer les couleurs; c’est le réel qui est adapté aux besoins du peintre.

Morandi est un peintre du changement d’état, il est aussi un graveur et cette discipline se prête elle aussi à l’impression en divers états.

Il ne travaille pas à représenter le vivant dans toute sa diversité. Il se concentre sur toute la subtilité de quelques objets d’étude, susceptibles de révéler l’intensité de la vie intérieure. Parmi les livres de chevet qui sont visibles dans la Casa Morandi, le plus visible près du lit de l’atelier est celui du poète Giacomo Leopardi - Canti ; c’est une poésie métaphysique qui nourrit sa peinture souvent désignée elle aussi par ce terme.

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“Il est curieux de voir combien l'excellence adopte fréquemment les manières simples,

alors que les manières simples passent si souvent pour un signe de médiocrité.”

Pensées, Leopardi

Chaque objet se trouvant dans l’atelier est de valeur dérisoire ; il s’agit de bouteilles en verre, boîtes métalliques, faïences monochromes, cafetières, pendules et coquillages très communs. 

Ceux-ci contrastent avec les objets de collection lui ayant appartenu : de l’Antiquité à l’époque moderne, une vingtaine d’oeuvres et objets d’art ont été accumulés par Giorgio Morandi au fil des rencontres. Ses amis et admirateurs les lui ont offerts, et il les a conservés sans jamais les considérer comme des sujets de représentation ; les seuls ayant franchi le seuil de la collection pour entrer dans l’atelier sont deux bouteilles persanes en faïence à émail stannifère et inscriptions.

À côté de l’Atelier, une pièce a été recomposée à la manière de l’originale, une sorte de réserve d’objets susceptibles d’être sublimés en devenant les motifs de ses peintures.

Nature morte aux instruments de musique, Gorgio Morandi, 1941, Fondazione Rocca Magnani

Nature morte aux instruments de musique, Gorgio Morandi, 1941, Fondazione Rocca Magnani

On y trouve en particulier une guitare et une trompette. Lorenza Selleri (4). éclaire ces deux instruments d’une anecdote. Le musicologue et amateur d’art Luigi Magnani (5) demande à Giorgio Morandi de réaliser une nature morte évoquant sa passion, une sorte de portrait par l’objet. Pour faciliter sa tâche, il lui apporte, en guise de modèles, un luth vénitien ancien, deux flûtes indiennes et quelques remarquable instruments de musique. Mais la peinture finalement réalisée représente d’autres instruments simplement chinés sur le marché de Bologne : une mandoline, une trompette et une petite guitare ; on peut voir encore aujourd’hui ces deux dernières dans son atelier. 

Morandi, achevant sa commande en 1941, envoie le tableau accompagné des beaux intruments à son ami.

Cette commande éclaire le rapport de Giorgio Morandi à l’objet. Lui, le peintre de nature morte (6), aborde le portrait - genre majeur - à travers des objets évocateurs du commanditaire mais il n’a pas besoin d’instruments exceptionnels, seule l’essence de l’instrument suffit et il ne s’aventure pas dans la représentation de la figure humaine. Lorsqu’il entre dans le groupe de la peinture métaphysique avec Giorgio de Chirico, Carlo Carra et Alberto Savinio, il représente l’humain à travers le mannequin, leitmotiv des peintres de ce mouvement. 

Il réalise très peu de portraits sauf au crayon et au burin pendant ses années de formation puis quelques rares autoportraits entre 1914 et 1930.

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Photographies personnelles dans l’atelier, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Paradoxalement, dans sa chambre, il s’était entouré de nombreux portraits de toutes époques, styles et techniques : ces œuvres qu’il fréquente quotidiennement nourrissent évidemment son approche de l’objet et de sa représentation.  Entouré de figures des Primitifs italiens, de portraits bourgeois, et autres; il partage son quotidien avec ses soeurs, donne des cours de gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Bologne et se rend fréquemment à Grizzana, en montagne où il établit aussi un atelier.

Ce maître de la peinture de natures mortes admirait Chardin et Cézanne et sa recherche transcendantale à travers l’objet l’éloigne de la représentation du vivant. D’un Christ a fresco du XIV siècle à une gravure d’Ingres, en passant par une tête de son ami et sculpteur Giacomo  Manzu, il conserve près de son lit l’œuvre complète de Picasso et il laisse à d’autres le soin de représenter l’homme.

Chambre de Giorgio Morandi, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

Chambre de Giorgio Morandi, Casa Morandi, Via Fondazza, Bologne

1. Luigi Ghirri : Atelier Morandi Édition Contrejour/Palomar, 1992

2. Joel Meyerowitz Morandi’s objects Édition Damiani, 2016

3. François Halard Polaroïds italiens Edition Idea Books et Sotheby’s, 2017

4. Lorenza Selleri, conservatrice de la casa Morandi

5. La Fondazione Magnani Rocca conserve la collection de Luigi Magnani composée de 50 œuvres de Morandi et d’importants artistes anciens et modernes.

6. La nature morte, longtemps considérée mineure dans la hiérarchie des genres qui plaçait en son sommet la peinture d’histoire suivie du portrait, de la scène de genre, du paysage et de la nature morte.

Nous remercions Mme Lorenza Selleri, conservatrice de la Casa Morandi, pour son aide précieuse ainsi que que M. Stefano Roffi, directeur scientifique de la Fondation Magnani-Rocca, à Parme